La Cour de cassation ne cesse d’alimenter sa jurisprudence sur le régime juridique du forfait jours.
Contrôle de la charge de travail des salariés au forfait jours : obligation de l’employeur
La Cour de cassation revient, dans un arrêt rendu le 23 janvier 2019 (Cass. soc. 23 janvier 2019, n°17-22.148) sur le contrôle de la charge de travail par l’employeur des salariés au forfait jours.
En l’espèce, une salariée au forfait jours présentait des demandes tendant à obtenir le paiement de certaines sommes au titre d’heures supplémentaires, de repos compensateurs, des congés payés afférents et au titre d’une indemnité pour travail dissimulé.
Au soutien de ses demandes, elle indiquait n’avoir jamais bénéficié d’un quelconque entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel auraient été évoquées l’organisation et sa charge de travail, précisant que bien que des entretiens se soient tenus, ils n’étaient pas relatifs à ces sujets.
La Cour d’appel a rejeté les prétentions de la salariée estimant que l’attestation de son supérieur hiérarchique par laquelle il expliquait avoir eu chaque année un entretien avec la salariée concernant son travail et ses objectifs était suffisante, d’autant plus qu’elle était corroborée par des courriels invitant la salariée à ces différents entretiens.
Le contrôle par l’employeur de la charge de travail à l’occasion de l’entretien annuel
La Cour de cassation a censuré la cour d’appel en considérant « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si un contrôle du nombre de journées ou demi-journées travaillées avait été effectué et si au cours de l’entretien annuel avaient été évoquées l’organisation et la charge de travail de la salariée ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
Pour rappel, l’article L. 3121-60 du Code du travail met à la charge de l’employeur l’obligation de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
Sur ce fondement, la Cour de cassation précise que l’employeur est dans l’obligation de contrôler le nombre de journées ou demi-journées travaillées par le salarié en forfaits-jours et d’évoquer, à l’occasion de l’entretien annuel du salarié, l’organisation, la charge et les amplitudes de travail.
Une décision dans la continuité des précédentes
Avec cette décision, la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence en matière d’obligations incombant à l’employeur de salariés au forfait jours.
Citons par exemple un arrêt récent dans lequel elle estimait « qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ; qu’ayant relevé qu’il n’était pas établi par l’employeur que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, la cour d’appel, qui en a déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision » (Cass. soc. 19 décembre 2018, n°17-18.725).
Le risque encouru par l’employeur est important puisqu’il encourt la remise en cause de la convention de forfait et par conséquent la condamnation à régler au salarié toutes les heures de travail ayant excédé 35 heures. Notons que l’employeur est également exposé à un risque de condamnation pour travail dissimulé.
Autre exemple : Nullité du forfait jours pour défaut de suivi de la charge de travail du salarié
Un dispositif de forfait annuel en jours a été institué dans la branche des commerces de détail non alimentaires. Un salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour contester la validité de sa convention de forfait, considérant que l’accord instituant cette convention ne comportait pas de garanties suffisantes pour assurer le respect des durées raisonnables de travail et de repos.
La Cour de Cassation relève que l’accord en cause se borne à prévoir que :
- le décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris est établi mensuellement par le salarié ;
- le salarié doit remettre, une fois par mois à l’employeur qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours repos pris et ceux restant à prendre et qu’à cette occasion doit s’opérer le suivi de l’organisation du travail et de l’impact de la charge de travail ;
- le contrôle des jours est effectué soit au moyen d’un système automatisé, soit d’un document auto-déclaratif signé par le salarié et par l’employeur et conservé pendant 3 ans et tenu à la disposition de l’inspecteur du travail.
La Cour de Cassation (14 décembre 2022, n°20-20.572) en conclut que l’accord collectif n’institue aucun mécanisme de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Elle considère en conséquence qu’il n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié. Les dispositions de l’accord de branche des commerces de détail non alimentaires sont donc invalidées.
Le difficile équilibre entre contrôle de la charge de travail et autonomie du salarié
En vertu de l’article L. 3121-58 du code du travail, les cadres ne peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année que s’ils disposent d’une autonomie réelle dans l’organisation de leur emploi du temps et si la nature de leurs fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés.
Un arrêt en date du 27 mars 2019 (n° 17-31.715), rendu par la Cour de cassation, est venu rappeler que la condition de l’autonomie réelle du salarié dans l’organisation de son travail doit véritablement être remplie pour qu’il puisse être soumis à une convention de forfait en jours.
Si l’organisation du travail du salarié concerné est organisée et imposée par l’employeur, la convention de forfait en jours sur l’année pourra être annulée.
Cette position de la Cour de cassation n’est en rien contradictoire avec la jurisprudence qu’elle a développée jusqu’alors. Pour autant, elle place les employeurs dans une situation relativement délicate, imposant la recherche d’un équilibre difficile entre le contrôle effectif de la charge de travail et la liberté laissée au salarié travaillant dans le cadre d’un forfait jours.
Le forfait jours inférieur à 218 jours n’est pas un contrat à temps partiel
Par un arrêt rendu le 27 mars 2019 (n° 16-23.800), en application de l’article L. 3123-1 du code du travail, la Cour de cassation a considéré que les salariés ayant conclu une convention de forfait inférieure à 218 jours sur l’année ne sont pas des salariés à temps partiel.
Les dispositions relatives au travail à temps partiel ne s’appliquent pas au forfait jours réduit en cas d’annulation du forfait jours pour non-respect des obligations légales, les salariés ne peuvent donc pas se prévaloir, une fois le forfait jours annulé, de la requalification de leur travail à temps partiel en travail à temps plein sur le fondement de la méconnaissance des dispositions légales relatives au temps partiel : durée hebdomadaire ou mensuelle définie par le contrat de travail, répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, etc.