La Cour de cassation a fait de la protection de la santé et de la sécurité des cadres au forfait jours son cheval de bataille. Un arrêt récent nous donne l’occasion de revenir sur ce sujet toujours très actuel.
1. Cadres au forfait jours : attention au contenu de l’accord collectif sur lequel se fonde le forfait jours !
Un grand nombre d’accords collectifs (convention collectives de branches ou accord d’entreprises) sur lesquels étaient fondées des conventions individuelles de forfait en jours ont été censurés. Pour rappel, et je vous renvoie à ce titre à un précédent article rédigé en ce sens, ont notamment été sanctionnées :
- La convention collective de la chimie (Cass. soc., 31 janv. 2012, n° 10-19.807) ;
- La convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseil (Cass. soc., 24 avr. 2013, n° 11-28.398) ;
- La convention collective des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes (Cass. soc., 14 mai 2014, n° 12-35.033) ;
- La convention collective des entreprises de bâtiment et travaux publics (Cass. soc., 11 juin 2014, n° 11-20.985).
La raison ? L’insuffisance, dans ces accords collectifs, des garanties du respect des durées maximales de travail ainsi que des temps repos journaliers et hebdomadaires des cadres au forfait jours.
La cour de cassation rappelait ainsi dans son arrêt du 31 janvier 2012 concernant la convention collective de branche de la chimie : « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. »
Les conséquences pour les entreprises sont terribles : lorsque les accords collectifs sont censurés, les conventions individuelles de forfait jours (c’est-à-dire en général la clause de forfait jours dans les contrats de travail des cadres) sont privées d’effet et les contrats de travail sont été requalifiés en contrats à 35 heures. Les entreprises sont alors condamnées à payer des heures supplémentaires pour toutes les heures de travail hebdomadaires ayant dépassé les 35 heures, sur une période de trois ans.
L’accord collectif qui fonde le recours au forfait jours doit comporter des modalités permettant d’assurer :
- L’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
- Les échanges périodiques entre l’employeur et le salarié sur la charge de travail ;
- L’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle du salarié, sa rémunération et l’organisation de son temps de travail.
Plusieurs années après, les conventions de forfait en jours font toujours la une de l’actualité contentieuse et le contrôle opéré par la Cour de cassation demeure très strict.
Dans un arrêt du 17 janvier 2018, la Cour de cassation rappelle qu’elle reste vigilante, s’agissant de la protection du droit à la santé et au repos des cadres au forfait jours (Cass, soc. 17 janvier 2018, n°16-15124).
Dans les faits, la salariée sollicitait l’annulation de la convention de forfait en jours à laquelle elle était soumise par son contrat de travail et, réclamait en conséquence, le paiement des heures supplémentaires afférents. Elle soutenait à l’appui de sa demande que l’accord collectif RTT du 7 juin 2000 pris en application de la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intracommunautaire et d’importation exportation de France Métropolitaine du 18 décembre 1952, sur laquelle se basait sa convention individuelle ne prévoyait pas les garanties suffisantes de nature à répondre aux exigences relatives au droit à la santé et au repos.
La Cour de cassation lui a donné raison. Elle a en effet considéré que l’accord collectif sur la base duquel était signée la convention de forfait en jours de la salariée ne permettait pas à « l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps, du travail de l’intéressée ».
2. Vous pouvez compenser la défaillance de l’accord collectif
Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite loi El Khomri, les employeurs ont la possibilité, au moins pour partie, de compenser les défaillances de l’accord collectif sur lequel ils s’appuient pour signer des conventions individuelles avec leurs cadres au forfait jours.
L’article L. 3121-65 du code du travail dispose en effet qu’à défaut de stipulations conventionnelles prévoyant les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié et les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise, « une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :
1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. »
De la même manière, l’article prévoit que si l’accord collectif n’organise pas le droit à la déconnexion, les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur lui-même.
Les employeurs peuvent donc compenser les lacunes de l’accord collectif et donc éviter la sanction des tribunaux en assurant eux même un suivi permettant de garantir aux cadres au forfait jours des temps de repos.
En pratique, si l’accord collectif sur lequel vous vous appuyez n’organise pas un réel suivi du temps de travail de vos cadres au forfait jours, vous pouvez continuer d’utiliser ce mode de décompte du temps de travail sous réserve de mettre vous même en place un système de contrôle évitant les excès.
Alors soyez vigilants si vous décidez de mettre en place une convention individuelle de forfait en jours avec un de vos salariés ! Et pensez à établir un plan de suivi précis et régulier de leur charge de travail !