Les salariés sollicitent régulièrement le paiement des heures supplémentaires prétendument effectuées devant les juridictions prud’homales.
Ces actions soulèvent deux grandes questions : celle de la preuve des heures effectuées et celle du chiffrage du volume horaire travaillé.
Or, par un arrêt du 18 mars 2020 (18-10.919), la Cour de cassation a signalé sa volonté d’accentuer le déséquilibre probatoire entre les employeurs et les salariés relativement aux décomptes des heures supplémentaires.
Précédemment, la Haute Juridiction avait déjà renoncé à exercer un véritable contrôle sur le décompte des heures supplémentaires revendiquées par les salariés (Cass. soc., 4 déc. 2013, 11-28.314).
1/ L’accentuation du déséquilibre dans la charge de la preuve
Sur les heures supplémentaires, le Code du travail institue déjà, à notre sens, un déséquilibre probatoire défavorable aux employeurs.
L’article L. 3171-4 du Code du travail (ancien art. L.121-1-1) dispose que : « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction (…) »
Avant le 18 mars 2020, la Cour de cassation considérait qu’il « appart(enait) au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments » (Cass. soc., 3 juil. 2013, 12-17594).
Dans son arrêt du 18 mars 2020, la Haute Juridiction modifie la formulation de son attendu de principe : l’obligation des salariés « d’étayer » leur demande par des éléments suffisamment précis est désormais remplacée par l’obligation de « présenter des éléments » suffisamment précis.
La Haute Juridiction affirme sa volonté d’ainsi éviter un contrôle trop exigeant des juges sur les éléments apportés par les salariés au sujet des heures supplémentaires.
Autrement dit, il appartient seulement aux salariés de soumettre des éléments « un tant soit peu détaillés ». Ainsi, il est jugé qu’un décompte hebdomadaire du nombre d’heures supplémentaires effectuées est suffisant pour mettre les employeurs dans l’obligation d’apporter des éléments de réponse (Cass. soc., 12 nov. 2020, 19-11.317).
De même, la Cour de cassation considère qu’un décompte quotidien qui indique les heures de prise et de fin de service mais qui ne précise pas les prises de temps de pause méridienne est suffisamment précis (Cass. soc., 27 janv. 2021, 17-31.046).
Pour autant, l’exigence d’une précision minimale des éléments fournis par les salariés demeurent. Devant les juridictions, il convient de rappeler que la nécessité de « précision suffisante » des pièces des salariés est indispensable au respect du principe du contradictoire. A défaut de précision suffisante, les employeurs seraient privés de la possibilité de répondre utilement.
2/ Un décompte forfaitaire des heures supplémentaires
Ce qui est regrettable, c’est que les juges sont dispensés de l’effort de calcul et de précision.
En effet, dans son arrêt du 4 décembre 2013, sans le dire aussi clairement, la Cour de cassation a indiqué tolérer une évaluation forfaitaire, pour ne pas dire « à la louche », du nombre d’heures supplémentaires de travail effectuées par les salariés :
« Mais attendu qu’après avoir pris en considération les éléments fournis par le salarié qu’elle a analysés, la cour d’appel a, sans être tenue de préciser le détail du calcul appliqué, souverainement évalué l’importance des heures supplémentaires et fixé en conséquence les créances salariales s’y rapportant ; que les moyens ne sont pas fondés. »
Autrement dit, les juges sont désormais dispensés de justifier du calcul retenu pour condamner l’employeur à un rappel de salaires.
Ils pourront se contenter de retenir « arbitrairement » un certain nombre d’heures supplémentaires. Ils ne sont pas être tenus de fournir la moindre explication sur les modalités de leur calcul. Cette solution a été confirmée par l’arrêt du 18 mars 2020.
Par conséquent, les employeurs qui auront fourni un véritable effort de précision dans la preuve du temps de travail ne pourront pas apprécier, à la lecture de la décision des juges, la qualité de l’analyse ayant conduit ses derniers à les condamner, puisque le décompte retenu n’aura pas à être détaillé.
Accentuation du déséquilibre probatoire et décompte forfaitaire des heures supplémentaires, force est de constater que le flou profite aux salariés !
Pour conclure, ces décisions présentent à tout le moins l’intérêt de rappeler aux employeurs les vertus de la mise en place, avant tout contentieux, d’un système précis et fiable de décompte du temps de travail des salariés. De la même façon les employeurs doivent être particulièrement vigilant lors de la mise en place de forfait jour pour ne pas se voir condamner au paiement important d’heures supplémentaires (cf : Cadres au forfait jours, attention au suivi de la charge de travail ! ; Annulation du forfait jours : à qui le tour ?, ; Actualité jurisprudentielle du forfait jours).
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