Le transfert des contrats de travail constitue l’un des enjeux centraux des opérations de fusion et d’acquisition d’entreprises.
Que ce soit côté acheteur ou côté vendeur, la plupart des opérations de cession de fonds ou de titres, de filialisation, qu’elles soient totales ou partielles, impliquent un transfert des contrats de travail. Une fois le transfert opéré, les risques de contentieux avec les salariés demeurent élevés, notamment sur les conditions de la poursuite des contrats de travail et le statut collectif des salariés.
Le code du travail encadre le changement d’employeurs (C. trav. art. L. 1224-1 et s.). En voici les principales lignes directrices.
1/ Quand le transfert des contrats de travail intervient-il dans une opération de restructuration ?
Le transfert des contrats de travail est la conséquence juridique du transfert d’entreprise, ou plus exactement du transfert d’une « entité économique autonome. »
C’est ce changement « économique » qui emporte un transfert des contrats de travail des salariés qui changent d’employeur.
Les conditions pour que ce transfert des contrats interviennent sont les suivantes.
1. 1. L’opération doit porter sur une entité économique autonome
C’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a défini la notion d’entité économique autonome (CJCE, 11 mars 1997, C-13/95).
Il s’agit d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Ont déjà été considérés comme des entités économiques autonomes un cabinet d’avocat (n° 06-41.892), l’ensemble des dossiers clients (n° 08-42.005) ou encore un rayon de boucherie de supermarché (n° 86-40.813).
1. 2. Cette entité économique autonome doit exercer une activité économique qui poursuit un objectif propre
L’activité exercée par l’entité doit avoir un caractère économique. En revanche, il importe peu qu’elle soit exercée à but lucratif ou non lucratif.
1. 3. L’entité économique autonome concernée par l’opération doit conserver son identité après l’opération
Le transfert d’entreprise sera considéré comme tel si, malgré l’opération, l’identité de l’entité est conservée. Les objectifs propres ou l’activité de l’entreprise transférée doivent être poursuivis.
Par exemple, la reprise d’une partie seulement des prestations sur un territoire géographique différent constitue un changement d’identité (n° 16-23.183). De même, pour le rachat d’une partie du matériel sans reprise de l’activité exercée avec ce matériel.
2/ Principales conséquences du transfert d’entreprise sur les contrats de travail
2. 1. Modalités de transfert des contrats de travail
Lorsque l’opération est qualifiée de transfert d’entreprise, les contrats de travail sont transférés automatiquement au nouvel employeur (C. trav. art. L. 1224-1).
Le transfert des contrats de travail s’impose aux salariés de l’entité reprise, qui ne peuvent donc pas refuser le changement d’employeur.
Le transfert s’impose aussi à l’entreprise que reprend l’activité.
2. 2. Conditions de poursuite des contrats de travail
2. 2. 1. Poursuite des contrats de travail aux conditions antérieures
En principe, les contrats de travail se poursuivent aux conditions antérieures. Sont conservés :
- Les éléments essentiels des contrats de travail (le temps de travail, la rémunération, la qualification et le lieu de travail) ;
- Les clauses du contrat plus favorables que les conventions collectives qui s’appliquent à l’entreprise ;
- La clause de non-concurrence qui lie le salarié et son nouvel employeur (son exécution ne peut cependant pas être réclamée par l’ancien employeur) ;
- Les droits que les salariés ont acquis de l’ancienneté ou de leur présence. Par exemple, le salarié conserve ses droits à congés payés ou sa prime de départ à la retraite.
2. 2. 2. Modification des contrats de travail
La modification des contrats de travail doit passer par un avenant. L’accord individuel du salarié concerné par la modification est donc requis.
2. 2. 3. Novation des contrats de travail
Puisque le code du travail ne l’interdit pas, si le nouvel employeur et le salarié expriment une volonté expresse de mettre un terme à l’ancien contrat de travail, un nouveau contrat de travail pourra naître (n° 01-43.687). Le contrat sera donc exécuté à de nouvelles conditions.
Le salarié ne conserve pas ses avantages dans ce cas.
2. 3. Licenciement des salariés et transfert d’entreprise
Le transfert d’entreprise ne constitue pas un motif autonome de licenciement économique. En revanche, le licenciement économique intervenu avant le transfert d’entreprise, dans le respect des articles L. 1233-3 et suivants du Code du travail est possible. Par exemple, en cas de suppression d’emploi due à des difficultés économiques.
3/ Principales conséquences du transfert d’entreprise sur les créances salariales
Le salarié qui réclamerait le paiement de ses salaires dus avant le transfert de son contrat de travail pourrait agir aussi bien contre son nouvel employeur que contre son ancien employeur (C. trav. art. L. 1224-2).
Par ailleurs, le nouvel employeur est débiteur des dettes nées postérieurement au transfert d’entreprise. Par exemple, le nouvel employeur paie les indemnités de congés payés au salarié proportionnellement aux droits acquis depuis le transfert.
Le nouvel employeur est aussi tenu au paiement des créances salariales nées antérieurement au transfert des contrats de travail, sauf :
- En cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;
- En cas de substitution d’employeurs sans convention.
Dans ce cas, le nouvel employeur dispose ensuite d’un recours contre l’ancien employeur pour obtenir le remboursement des dettes nées avant le transfert.
4/ Principales conséquences sur les accords d’entreprises
Selon les cas d’espèces, il peut arriver que les accords d’entreprises appliqués au sein de l’entité économique transférée ne puissent s’appliquer après transfert. Cette situation est le plus souvent observée en cas de transfert partielle d’activité. Par exemple, une entreprise de fabrication et commerce de vêtements qui cèderait son activité transport (qui n’est pas son cœur de métier) à une entreprise de transports.
Les accords d’entreprise sont ainsi mis en cause (C. trav. art. L. 2261-14).
L’ancien accord d’entreprise reste applicable pendant un délai de quinze mois comprenant trois mois de préavis (sauf stipulation expresse contraire de l’accord (L. 2261-9 du Code du travail)) et douze mois de survie.
Pendant cette période, les salariés concernés bénéficient des accords de leur ancienne entreprise ainsi que de ceux de l’entreprise d’accueil.
Pendant ce délai, il convient de négocier un accord de substitution pour mettre fin à ce cumul et harmoniser les règles applicables.
5/ Comment anticiper les conséquences d’un transfert d’entreprise sur les contrats de travail ?
5. 1. Négocier entre les entreprises parties prenantes à l’opération
Il est fortement conseillé aux entreprises parties prenantes d’un opération de restructuration de négocier entre elles les modalités pratiques du transfert des salariés.
Elles ne peuvent pas empêcher le transfert des contrats de travail mais peuvent organiser les transfert des informations, le règlement du passif social, etc.
5. 2. Négocier un accord anticipé de transition
L’accord anticipé de transition, négocié avant la mise en cause de l’accord d’entreprise de l’entité transférée (C. trav. art. L. 2261-14-2), permet l’application d’un nouvel accord d’entreprise aux contrats transférés.
Les parties à la négociation sont :
- Les employeurs des entreprises concernées ;
- Les organisation syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise dans laquelle les contrats de travail sont transférés.
Cet accord entre en vigueur au moment du transfert d’entreprise pour une durée de trois ans maximum.
Toutes les stipulations s’appliqueront sauf celles ayant le même objet que les stipulations prévues par l’accord de l’entreprise dans laquelle les contrats sont transférés.
A l’issue de la durée convenue, ce sont les accords d’entreprises applicables dans l’entreprise dans laquelle les contrats ont été transférés qui s’appliqueront aux salariés transférés.
5. 3. Négocier un accord anticipé d’adaptation
L’accord anticipé d’adaptation, négocié avant la mise en cause des accords d’entreprise (C. trav. art. L. 2261-14-3), se substitue aux accords d’entreprise de l’entité transférée et révise ceux de l’entreprise dans laquelle les contrats seront transférés.
Les parties à la négociation sont :
- Les employeurs des entreprises concernées ;
- Les organisations syndicales des entreprises concernées.
L’accord entre en vigueur au moment du transfert d’entreprise.
6/ Conclusion
Le droit du travail ne doit pas être négligé dans les restructurations d’entreprises.
Trop souvent l’opération est organisée en négligeant les aspects sociaux, ce qui peut conduire à de nombreux contentieux.
Au-delà de la question de la reprise des contrats de travail, il convient de rappeler que les consultations du CSE doivent être effectuées avant le transfert des contrats de travail.
Enfin, un audit social préalable au transfert de contrats de travail est fortement recommandé pour anticiper au mieux les problèmes qui surviendront suite au transfert : primes et avantages divers, inégalités de traitements, irrégularités dans les contrats de travail, mauvaises applications de la convention collective, non-respect des durées du travail, non conformité des systèmes de contrôles de l’activité des salariés, non-respect du formalisme en matière d’épargne salariale ou de mise en œuvre de la politique frais de santé, absence d’entretiens professionnels, etc.
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