La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu le 17 octobre 2019 un arrêt autorisant le recours aux dispositifs de vidéosurveillance de salariés sans les avoir informés préalablement. Toutefois, elle limite ce type de recours à l’existence de soupçons raisonnables d’irrégularités graves et exige que l’ampleur des manquements constatés le justifie.
Cette position adoptée par la CEDH s’oppose à celle appliquée en France, elle pourrait cependant constituer une solution intéressante pour les entreprises françaises exposées à des cas similaires.
1/ La mise en place de caméras sur le lieu de travail en France
La CNIL et le Règlement général sur la protection des données autorisent la mise en place d’un système de vidéosurveillance dans un lieu ouvert au public, particulièrement exposé au risque d’agression et de vol et dans un but unique de sécurité des personnes et des biens. De manière incidente, cela peut conduire à un contrôle de l’activité des salariés.
Le RGPD impose notamment l’information des salariés préalablement à la mise en place du système de vidéosurveillance. A défaut d’information des salariés, une preuve issue d’un dispositif de vidéosurveillance est en principe irrecevable devant le Conseil de prud’hommes pour justifier un licenciement ou une sanction disciplinaire (Cass. soc. 20 septembre 2018, n°16-26.482).
Sur le fondement de la protection de la vie privée au travail, cette règle peut sembler justifiée compte tenu du caractère intrusif d’un tel dispositif dans l’activité des salariés. De plus, une telle information préalable peut également s’expliquer sur le fondement du principe de la loyauté de la preuve en procédure civile.
Toutefois, ce formalisme peut dans certains cas empêcher l’employeur de protéger ses propres intérêts, par exemple s’il rend possible le contournement de tout contrôle en vue de commettre des vols.
C’est dans une logique de réduction de ce déséquilibre que la CEDH semble avoir rendu cette décision.
2/ La CEDH fait preuve de souplesse quant à la mise en place dissimulée d’un système de vidéosurveillance sur le lieu de travail
Cette affaire espagnole concernait des caissières licenciées pour avoir participé à des vols de marchandises constatées par des enregistrements de caméras dont elles ignoraient l’existence. Ces salariées ont alors saisi le juge espagnol du travail pour licenciement abusif en considérant que l’utilisation de ce système de vidéo-surveillance constituait une violation du droit au respect de la vie privée.
La CEDH a jugé dans cette espèce que « les mesures de vidéosurveillance prises par l’employeur ne nécessitaient pas le consentement préalable des salariés concernés mais devaient être soumises à un contrôle de proportionnalité. Elle estima que la mesure prise en l’espèce satisfaisait à ces critères parce qu’elle était motivée par l’existence de soupçons d’irrégularités, adéquate au but poursuivi, nécessaire à l’accomplissement de ce but puisqu’une mesure plus modérée n’aurait pas été à même d’atteindre ce but, et pondérée puisque les enregistrements étaient limités, dans le temps et dans l’espace, à ce qui était nécessaire pour vérifier les soupçons en cause. »
La CEDH semble donc écarter dans certaines hypothèses particulières l’obligation d’information préalable des salariés lorsqu’elle peut être compensée par d’autres critères notamment:
- Le degré d’intrusion dans la vie privée du salarié ;
- La justification de la mesure par des motifs légitimes ;
- Les conséquences de la surveillance pour les employés qui en ont fait l’objet.
Bien que la Cour de cassation ne suive pas encore ce raisonnement à ce jour (Cass. soc. 11 décembre 2019, n° 17-24.179), l’utilisation de cette décision de la CEDH peut constituer un nouvel axe de défense pour justifier un licenciement ou une mesure disciplinaire prononcée à l’égard d’un salarié non informé préalablement.
3/ Les prémices d’une certaine souplesse de la Cour de cassation
Au nom du caractère équitable de la procédure et en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, la Cour de cassation semble faire preuve de davantage de souplesse en jugeant que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.
Ainsi, en cas de contentieux, l’employeur pourra tenter de se prévaloir d’une preuve issue d’une mesure de surveillance illicite pour établir la faute du salarié s’il parvient à démontrer qu’il ne disposait d’aucun autre moyen de preuve plus respectueux de la vie personnelle de ce dernier (Cass. soc. 8 mars 2023, n° 20-17.802).
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