Harcèlement moral

La jurisprudence relative aux éléments susceptibles de caractériser une situation de harcèlement moral est fleurissante. Il s’en dégage que l’obligation de sécurité est fondamentale dans l’appréciation des juges.

Cette obligation, qui pèse sur l’employeur, l’oblige à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés et protéger leur santé physique et mentale (C. trav., art. L. 4121-1).

Pour rappel, les articles L. 1152-1 et suivants du Code du travail protègent les salariés de toute situation de harcèlement moral qui se définit comme des « agissements répétés […] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (C. trav., art. L. 1152-1).

1/ Le « bore-out » : une forme de harcèlement moral découlant de l’obligation de prévention

Alors que la surcharge de travail et le stress sont régulièrement admis par la jurisprudence comme des éléments caractérisant une situation de harcèlement moral (Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-22.801), la notion de « bore-out » est pour la première fois reconnue par la cour d’appel de Paris par un arrêt en date du 2 juin 2020 (CA Paris, 2 juin 2020, RG n° F14/13743).

Le « bore-out » se définit par le manque de travail, l’ennui, l’absence de défis et le désintérêt dégradant les conditions de travail et l’état de santé d’un salarié. Il se distingue de la mise à l’écart, déjà reconnue comme constitutive de harcèlement moral (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321).

Si la cour d’appel de Paris se montre encore timide en se réservant d’employer le mot « bore-out », elle en accepte toutefois la notion.

Cette reconnaissance est importante au regard de l’obligation de prévention qui pèse sur l’employeur. En effet, s’il identifie une situation grave d’ennui et de manque de travail, il doit agir pour se prémunir contre tout manquement à son obligation de prévention. A défaut, une situation de harcèlement moral risque d’être caractérisée.

2/ Le non-respect des préconisations du médecin du travail peut caractériser le harcèlement moral

Lors d’une visite médicale, le médecin du travail décide si le salarié est apte à son poste. Il peut également assortir son avis d’aptitude de réserves. Dans ce cas, l’employeur doit tenir compte des restrictions apportées par le médecin du travail. A défaut, les conséquences pour l’employeur peuvent s’avérer particulièrement lourdes.

C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2020 (Cass. soc., 4 novembre 2020, n°19-11.626).

Dans cette affaire, un salarié avait été placé en arrêt de travail durant plusieurs périodes. Initialement, le médecin du travail l’avait déclaré apte sous réserve d’éviter au maximum le port de charges lourdes. Finalement, le médecin du travail durcit les restrictions et déclare le salarié apte sans port de charges lourdes de plus de 25 kg manuellement.

L’entreprise a licencié le salarié pour faute grave. Ce dernier a saisi le Conseil de Prud’hommes afin d’obtenir la nullité de son licenciement. Il estimait notamment avoir subi une situation de harcèlement moral, son employeur ignorant les préconisations médicales.

La Cour d’appel et la Cour de cassation ont suivi son raisonnement.

Le fait que l’employeur ait confié au salarié de manière habituelle, au mépris des prescriptions du médecin du travail, des tâches dépassant ses capacités physiques eu égard à son état de santé, laisse supposer une situation de harcèlement moral. L’employeur échouant à démontrer l’existence d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ledit harcèlement est caractérisé.

Cet arrêt est une confirmation de jurisprudences antérieures de la Cour de cassation (Cass. soc., 28 janv. 2009, n°08-42.616 ; Cass. soc., 7 janvier 2015, n° 13-17.602).

De notre point de vue, cette analyse de la Cour de cassation consistant à qualifier un manquement à la sécurité physique du salarié d’agissement laissant supposer un harcèlement moral est critiquable. La Cour aurait en effet pu sanctionner l’entreprise sur le fondement de l’obligation de prévention, sur celui de l’obligation de sécurité ou même sur celui de la déloyauté dans l’exécution du contrat. Il nous semble en outre que l’aspect psychologique de la contrainte du port de charges indument imposé au salarié aurait du être analysé avant d’établir un lien entre la violation d’une obligation de sécurité physique et la qualification « d’agissement répétés de harcèlement moral ». 

3/ Absence de harcèlement : la condamnation pour défaut de prévention reste possible

Dans une affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 novembre 2019, une salariée avait dénoncé à son employeur des faits de harcèlement moral qu’elle subissait de la part de son supérieur hiérarchique. L’employeur n’avait pas donné suite à ses plaintes pour harcèlement moral par courrier et aucune enquête n’avait été réalisée. La salariée a saisi le Conseil de Prud’hommes pour obtenir des dommages-intérêts au titre du harcèlement moral et du manquement de son employeur à son obligation de sécurité.

Selon la cour de cassation, la cour d’appel a écarté à tort la demande sur le fondement de l’obligation de sécurité, en se fondant sur l’absence de harcèlement moral.

La cour de cassation a censuré ce raisonnement et a donné gain de cause à la salariée en jugeant que  » l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ».

La cour de cassation réaffirme ainsi dans cet arrêt deux principes :

  • L’employeur a l’obligation dès lors que des faits de harcèlement moral lui sont rapportés de mettre en œuvre une enquête interne pour vérifier si les agissements dénoncés sont avérés ou non.
  • L’obligation de prévention et l’interdiction des agissements de harcèlement sont deux obligations distinctes à la charge de l’employeur et indépendantes l’une de l’autre.

a/  Une enquête systématique à diligenter dès la dénonciation de faits de harcèlement moral

En effet il est de jurisprudence constante que l’employeur manque à son obligation de protection de la santé des salariés s’il ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par le code du travail et toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu’il a été informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (Cass. soc. 1 juin 2016, n°14-19702).

En l’espèce, la cour de Cassation rappelle de façon encore plus précise « qu’il appartient à l’employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées. »  Cette enquête aurait permis à l’employeur de prendre le cas échéant les mesures de prévention nécessaires ainsi que les mesures propres à le faire cesser. La cour de Cassation rappelle ainsi que la qualification du harcèlement moral ne peut être écartée du seul fait que la salariée n’a pas établi la réalité des faits invoqués.

Pour mémoire, s’agissant de la charge de la preuve en matière de harcèlement moral en droit du travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, charge à l’employeur de « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement » (art. L. 1154-1 c. trav.).

b/  L’obligation de sécurité : une obligation autonome

Cet arrêt est particulièrement intéressant en ce qu’il permet de rappeler que l’obligation de prévention qui pèse sur l’employeur est bien une obligation à considérer en tant que telle. Autrement dit, lorsque le harcèlement moral est reconnu, l’employeur ne manque pas automatiquement à son obligation de prévention. De la même façon, on ne peut pas déduire systématiquement de l’absence de tout harcèlement moral le respect de son obligation de sécurité.

Par conséquent il convient d’être particulièrement vigilant en matière de prévention puisque la réalisation d’un risque (survenance d’un accident) n’est pas la condition nécessaire à une condamnation pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention.

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