liberté d'expressionUn employeur peut-il licencier un salarié pour un abus de sa liberté d’expression ?

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative et rappelé le principe selon lequel l’abus de la liberté d’expression est susceptible de justifier un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 11 avril 2018, n°16-18.590).

Au-delà de ce rappel de principe, l’intérêt de l’arrêt repose également sur le fait que les propos tenus n’étaient ni injurieux, ni menaçants.

Dans le cas jugé, un directeur artistique avait été licencié pour faute grave pour avoir posté sur un site internet accessible à tout public, un message dont l’objet était de « noter » les entreprises.

Quels étaient les propos tenus par le salarié ? « Salaire minimum, aucune prime, ni même d’heures sup payées (sauf celles du dimanche pour les téméraires !!!!)… L’agence ne possède même pas de site Internet. Le comble pour une entreprise de ce secteur ! Le client est roi en toutes circonstances, peu importe qu’il faille travailler à perte, et votre travail sera parfois descendu devant le client. Rien n’incite à la motivation, si ce ne sont que les promesses jamais tenues. Mais ça ne fait qu’un temps. La direction ne s’en cache pas : « votre motivation c’est de garder votre boulot ». Pour preuve, le turn-over incessant : un départ par mois en moyenne, pour un effectif moyen d’une vingtaine de personnes ».

Manifestement les propos émanaient d’un salarié mécontent, mais n’étaient pas pour autant injurieux ou menaçants. Bien que les propos pouvaient très clairement nuire à l’entreprise, il n’était pas si évident qu’ils justifiaient un licenciement pour faute grave.

La Cour de cassation a considéré que la faute grave était caractérisée. Selon elle, la Cour d’appel avait à juste titre : « relevé le caractère excessif du message qui était publié sur un site accessible à tout public, et dont les termes tant déloyaux que malveillants à l’égard de l’employeur, [la Cour d’appel] a pu en déduire que l’intéressé, directeur artistique de l’entreprise, avait abusé de sa liberté d’expression et, ayant fait ressortir que l’employeur avait agi dans un délai restreint, que ce manquement rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constituait une faute grave, excluant par là même toute autre cause de licenciement ».

Plusieurs questions se posent alors : le salarié est-il vraiment libre de s’exprimer ? Où commence l’abus de droit ? Comment les juges apprécient-ils l’abus ?

 

I. L’abus de la liberté d’expression est fautif

 

En application de l’article L. 1121-1 du code du travail, l’employeur ne peut apporter de restrictions à la liberté d’expression « qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Cet article ne remet pas en cause le principe de la liberté d’expression des salariés.

Cependant, l’entreprise dispose du droit de protéger ses intérêts et par conséquent de sanctionner le salarié qui aurait abusé de sa liberté d’expression.

La difficulté résulte du fait que l’abus est apprécié au cas par cas, en fonction des propos, du contexte, de la personne qui les a tenu, du support de diffusion, etc.

Les juges apprécient au cas par cas et tiennent compte d’éléments tels que :

  • le caractère injurieux, diffamatoire, excessif ou abusif des propos tenus ;
  • le cadre dans lequel ces propos ont été tenus et plus précisément la publicité donnée aux propos (injures publiques, etc) ;
  • l’exactitude des propos tenus ;
  • la qualité du salarié.

Dans le cas de l’arrêt du 11 avril 2018, les juges ont considéré que le salarié avait abusé de sa liberté d’expression, alors même qu’il n’avait pas tenu de propos particulièrement injurieux.

 

II. Liberté d’expression ou abus ? Exemples de jurisprudence

 

1. N’ont pas été reconnus comme constituant un abus de la liberté d’expression les faits suivants :

Une salariée avait publié les propos suivants sur des comptes qui n’étaient accessibles qu’aux seules personnes agrées par l’intéressée en nombre très restreint : « D… devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne ! ! ! (site MSN) » « extermination des directrices chieuses  » (Facebook) (Cass, 1ère civ., 10 avril 2013, n°11-19.530) ;

Le fait pour un salarié d’avoir écrit « une lettre dans laquelle il critiquait son supérieur en des termes vifs, mais dont la fausseté n’était pas établie, [dont la diffusion] a été limitée à l’entreprise » (Cass, soc., 9 novembre 2009, n° 08-41.927) ;

Un salarié avait affirmé sur un site internet que l’un de ses collègues de travail avait été « sanctionné pour avoir soi-disant mal répondu à son chef d’équipe, motif monté de toutes pièces », et avait revendiqué « l’application du code du travail ». Ce comportement n’excédait pas les limites de la liberté d’expression dès lors que le site revêtait un caractère quasiment confidentiel, et que les propos incriminés n’étaient pas injurieux ou vexatoires (Cass. soc. 6 mai 2015, n° 14-10.781). 

 

2. Au contraire, ont été reconnus comme constituant un abus de la liberté d’expression les faits suivants :

Les propos violents et excessifs tenus par un salarié sur le réseau social Facebook dans le cadre d’un dialogue avec un ancien directeur de l’entreprise licencié pour faute grave, contenant les phrases suivantes : « oui, c’est clair, cette boîte me dégoûte (…) ; oui c’est sûr tu vas retrouver quelque chose, ça va te permettre de voir d’autres horizons, mais ça fait quand même chier la façon dont ça s’est passé, ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde » (CA Besançon, 15 novembre 2011, n° 10-02642 ch. soc., F. c/ Sté Casa France).

Le fait pour un salarié d’avoir écrit dans un texte lu à l’ensemble des salariés : « vous l’avez bien compris, en tant que collaborateur, vous avez un rôle essentiel dans la démarche, et nous sommes tous des collaborateurs, comme disait si bien Laval ». L’environnement de travail justifiait l’abus de droit (Cass, soc., 6 octobre 2016 n° 15-19.588).

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Pour conclure, les salariés de vos entreprises ne bénéficient pas d’un droit illimité de critiquer l’entreprise, son management, ses produits, ses méthodes, etc.

Cet arrêt de la Cour de cassation permet de rappeler qu’en tant qu’employeur vous conservez la faculté de sanctionner les salariés qui tiendraient des propos excessifs, y compris si ces propos ne sont pas des insultes ou des menaces.

Au regard des enjeux que revêt l’image et la réputation des entreprises en matière de recrutement et de développement commercial, cet arrêt doit vous encourager à poursuivre la veille de la réputation de votre entreprise sur Internet (e-réputation).