Transparence des rémunérations

Le 10 mai 2023, l’Union Européenne a adopté une directive visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations.

Cette directive devrait faire l’objet d’une transposition prochainement en droit français (dans un délai maximal de trois ans à compte de sa publication), et prévoit des obligations renforcées en matière de transparence des rémunérations, qui vont avoir un impact sur les entreprises.

1. Champ d’application

1.1 Qui est concerné ?

La directive s’applique à tous les travailleurs, y compris les travailleurs à temps partiel, les travailleurs ayant un contrat à durée déterminée et les personnes ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire, y compris les travailleurs occupant des postes de direction, qui ont un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives et/ou des pratiques en vigueur dans chaque État membre, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice.

Il est également prévu qu’entrent également dans le champ d’application de la directive les travailleurs occupant un emploi protégé, les stagiaires et les apprentis.

La directive est enfin applicable aux candidats à un emploi : “Un élément important de l’élimination de la discrimination en matière de rémunération est la transparence des rémunérations avant l’embauche. La présente directive devrait donc également s’appliquer aux candidats à un emploi”.

1.2 Quelle est la rémunération visée ?

La directive prévoit que le principe de l’égalité des rémunérations doit être respecté en ce qui concerne les salaires, les traitements ou tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

La directive précise également que la notion de « rémunération » devrait englober non seulement le salaire, mais également les composantes complémentaires ou variables de la rémunération, et notamment les primes, la compensation des heures supplémentaires, l’indemnisation des déplacements, les indemnités de logement et de repas, l’indemnisation de la participation à des formations, les indemnités en cas de licenciement, les indemnités légales de maladie, les indemnités légales obligatoires et les pensions professionnelles.

2. Même travail ou travail de même valeur (article 4 de la directive)

2.1 Structures de rémunération

La directive prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les employeurs disposent de structures de rémunération garantissant l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur.

A ce sujet, le préambule ainsi que l’article 4 de la directive prévoient que :

  • Afin de respecter le droit à l’égalité des rémunérations, les employeurs doivent disposer de structures de rémunération garantissant qu’il n’y a pas de différences de rémunération fondées sur le sexe entre des travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur qui ne soient pas justifiées par des critères objectifs non sexistes ;
  • Ces structures de rémunération doivent permettre d’évaluer si des travailleurs se trouvent dans une situation comparable au regard de la valeur travail, en fonction de critères objectifs non sexistes convenus avec les représentants des travailleurs, lorsqu’il en existe.
  • Ces critères ne sont pas fondés, directement ou indirectement, sur le sexe des travailleurs. Ils comprennent les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail, ainsi que, s’il y a lieu, tout autre facteur pertinent pour l’emploi ou le poste concerné.
  • Ils sont appliqués de manière objective et non sexiste excluant toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe. En particulier, les compétences non techniques pertinentes (i.e., soft skills) ne sont pas sous-évaluées.

2.2 Outils ou méthodes analytiques

La directive prévoit que les États membres prennent, en consultation avec les organismes pour l’égalité de traitement, les mesures nécessaires pour veiller à ce que des outils ou des méthodes analytiques soient disponibles et facilement accessibles pour soutenir et guider l’évaluation et la comparaison de la valeur du travail.

3. Transparence des rémunérations avant l’embauche (article 5 de la directive)

3.1 Obligation d’information

La directive prévoit une obligation d’information des candidats à l’emploi. Il est ainsi prévu que les informations suivantes doivent être fournies au candidat de manière à garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération :

  • la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale, sur la base de critères objectifs non sexistes, correspondant au poste concerné ;
  • le cas échéant, les dispositions pertinentes de la convention collective appliquées par l’employeur en rapport avec le poste.

La directive indique que « ces informations sont communiquées de manière à garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération, par exemple dans un avis de vacance d’emploi publié, avant l’entretien d’embauche ou d’une autre manière ».

3.2 Interdiction de solliciter certaines informations durant le processus de recrutement

La directive prévoit de manière claire l’interdiction pour les employeurs de solliciter des informations sur les rémunérations passées du candidat à un emploi, afin d’éviter que les écarts de rémunération ne se perpétuent, notamment pour les femmes : “L’employeur ne demande pas aux candidats leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles ou antérieures

4. Transparence concernant la fixation des rémunérations et la politique de progression des rémunérations (article 6 de la directive)

La directive prévoit que les employeurs mettent à la disposition de leurs travailleurs, d’une manière facilement accessible les critères qui sont utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération des travailleurs.

Le préambule indique que la “progression de rémunération” se réfère au processus selon lequel un travailleur passe à un niveau de rémunération plus élevé. Les critères liés à la progression de la rémunération peuvent inclure, entre autres, les performances individuelles, le développement des compétences et l’ancienneté.

5. Droit à l’information des travailleurs (article 7 de la directive)

5.1 Droit pour les salariés de solliciter l’accès à certaines informations

Les travailleurs ont le droit de demander et de recevoir par écrit des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur que le leur.

Ils peuvent également demander et recevoir ces informations par l’intermédiaire de leurs représentants ou d’un organisme pour l’égalité de traitement.

Si les informations reçues sont inexactes ou incomplètes, les travailleurs ont le droit de demander, personnellement ou par l’intermédiaire de leurs représentants, des précisions et des détails supplémentaires raisonnables concernant toute donnée fournie et de recevoir une réponse circonstanciée.

Les employeurs fournissent les informations dans un délai raisonnable et en tout état de cause dans un délai de deux mois à compter de la date de la demande.

5.2 Obligation pour l’employeur d’informer les salariés

Les employeurs informent tous les travailleurs, une fois par an, de leur droit à recevoir les informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur que le leur, ainsi que des mesures que ceux-ci doivent prendre pour exercer ce droit.

6. Communication publique des données relatives à l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes (article 9 de la directive)

Les employeurs doivent fournir les informations suivantes :

  • l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes ;
  • l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
  • l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes ;
  • l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes au niveau des composantes variables ou complémentaires ;
  • la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires ;
  • la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins dans chaque quartile ;
  • l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégories de travailleurs, ventilé par salaire ou traitement ordinaire de base et par composantes variables ou complémentaires.

Cette obligation de communication entrera en vigueur progressivement :

  • Employeurs dont l’effectif comptent 250 travailleurs ou plus : au plus tard le 7 juin 2027 et chaque année
  • Employeurs dont l’effectif comptent entre 150 et 249 travailleurs : au plus tard le 7 juin 2027 et tous les trois ans
  • Employeurs dont l’effectif comptent entre 100 et 149 travailleurs : au plus tard le 7 juin 2031 et tous les trois ans

La directive apporte en outre les précisions suivantes sur les modalités de publication de ces informations :

  • L’exactitude des informations est confirmée par la direction de l’employeur, après consultation des représentants des travailleurs
  • Les représentants des travailleurs ont accès aux méthodes appliquées par l’employeur
  • Les travailleurs, les représentants des travailleurs, les inspections du travail et les organismes pour l’égalité de traitement ont le droit de demander aux employeurs des éclaircissements et des précisions supplémentaires sur toutes les données communiquées, y compris des explications concernant toute différence de rémunération constatée entre les femmes et les hommes. Les employeurs répondent à ces demandes dans un délai raisonnable en fournissant une réponse circonstanciée.
  • Lorsque la différence de rémunération entre les femmes et les hommes n’est pas justifiée par des critères objectifs non sexistes, les employeurs remédient à la situation dans un délai raisonnable, en étroite coopération avec les représentants des travailleurs, l’inspection du travail et/ou l’organisme pour l’égalité de traitement.

7. Evaluation conjointe des rémunérations (article 10 de la directive)

7.1 Conditions de mise en place de l’évaluation conjointe

Lorsque les conditions suivantes sont remplies, les employeurs procèdent à une évaluation conjointe des rémunérations, en coopération avec les représentants des travailleurs :

  • les données communiquées concernant les rémunérations révèlent une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5 % entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins quelle que soit la catégorie de travailleurs ;
  • l’employeur n’a pas justifié cette différence de niveau de rémunération moyen par des critères objectifs non sexistes ;
  • l’employeur n’a pas remédié à cette différence injustifiée de niveau de rémunération moyen dans un délai de six mois à compter de la date de communication des données sur les rémunérations.

7.2 Contenu de l’évaluation conjointe

L’évaluation conjointe des rémunérations est effectuée pour recenser, corriger et prévenir les différences de rémunération entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins qui ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes et comporte les éléments suivants :

  • une analyse de la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins au sein de chaque catégorie de travailleurs ;
  • des informations sur les niveaux de rémunération moyens des travailleurs féminins et des travailleurs masculins et sur les composantes variables ou complémentaires pour chaque catégorie de travailleurs ;
  • toutes les différences de niveaux de rémunération moyens entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins pour chaque catégorie de travailleurs ;
  • les raisons de ces différences de niveaux de rémunération moyens fondées sur des critères objectifs non sexistes, pour autant qu’il en existe, telles qu’elles ont été déterminées conjointement par les représentants des travailleurs et l’employeur ;
  • la proportion de travailleurs féminins et de travailleurs masculins qui ont bénéficié d’une augmentation de leur rémunération à la suite de leur retour d’un congé de maternité ou de paternité, d’un congé parental ou d’un congé d’aidant, si une telle augmentation est intervenue dans la catégorie de travailleurs concernée au cours de la période pendant laquelle le congé a été pris ;
  • des mesures visant à remédier aux différences de rémunération si celles-ci ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes ;
  • une évaluation de l’efficacité des mesures résultant de précédentes évaluations conjointes des rémunérations.

Les employeurs mettent l’évaluation conjointe des rémunérations à la disposition des travailleurs et des représentants des travailleurs et la communiquent à l’organisme de suivi. Ils la mettent sur demande à la disposition de l’inspection du travail et de l’organisme pour l’égalité de traitement.

8. Preuve en matière de différence de traitement (articles 18, 19 et 20 de la directive, préambule)

8.1 Renversement de la charge de la preuve

La directive prévoit que :

Les États membres prennent les mesures appropriées, conformément à leur système judiciaire national, afin que, dès lors qu’un travailleur s’estime lésé par un défaut d’application, à son égard, du principe de l’égalité des rémunérations et établit, devant une autorité compétente ou une juridiction nationale, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération”.

« Les États membres veillent à ce que, dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires concernant une discrimination présumée directe ou indirecte en matière de rémunération, lorsqu’un employeur ne s’est pas conformé aux obligations de transparence des rémunérations énoncées aux articles 5, 6, 7, 9 et 10, il lui incombe de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination

8.2 Désignation d’une personne de référence valable (préambule et article 19)

Le préambule de la directive indique que la désignation d’une personne de référence valable est un paramètre important pour déterminer si un travail peut être considéré comme de même valeur. Les travailleurs peuvent ainsi démontrer qu’ils ont été traités de manière moins favorable qu’une personne de référence de sexe différent exerçant le même travail ou un travail de même valeur.

Le préambule de la directive prévoit également que dans les situations où il n’existe pas de personne de référence dans la vie réelle, il convient d’autoriser le recours à une personne de référence hypothétique pour permettre aux travailleurs de démontrer qu’ils n’ont pas été traités comme l’aurait été une personne de référence hypothétique d’un autre sexe.

L’article 19 ^précise quant à lui que lorsqu’aucune personne de référence réelle ne peut être trouvée, tout autre élément de preuve peut être utilisé pour attester de la discrimination présumée en matière de rémunération, y compris des statistiques ou une comparaison avec la manière dont un travailleur sera traité dans une situation comparable.

8.3 Autres moyens de preuve

Les travailleurs ne devraient pas se voir interdire l’utilisation d’autres faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination alléguée, tels que des statistiques ou d’autres informations disponibles.

8.4 Comparaison à partir de salariés travaillant pour un autre employeur

La directive prévoit que pour établir si des travailleurs se trouvent dans une situation comparable, la comparaison n’est pas nécessairement limitée à des situations dans lesquelles des femmes et des hommes effectuent leur travail pour un même employeur.

Il est donc possible pour les travailleurs de se trouver dans une situation comparable même lorsqu’ils ne travaillent pas pour le même employeur, dès lors que les conditions de rémunération peuvent être attribuées à une source unique établissant ces conditions et lorsque ces conditions sont identiques et comparables.

Tel peut être le cas lorsque les conditions de rémunération pertinentes sont réglementées par des dispositions légales ou des conventions en matière de rémunération applicables à plusieurs employeurs ou lorsque ces conditions sont définies de manière centralisée pour plusieurs organisations ou entreprises au sein d’une société holding ou d’un conglomérat.

8.5 Comparaison à partir de salariés ne travaillant pas en même temps

La Cour de justice a précisé que la comparaison ne se limite pas aux travailleurs employés en même temps que le requérant.

9. Droit à indemnisation (article 16 de la directive)

La directive prévoit que l’indemnisation ou la réparation représente une indemnisation ou une réparation effective de la perte et du dommage subis.

L’indemnisation ou la réparation place le travailleur qui a subi le dommage dans la situation dans laquelle il se serait trouvé s’il n’avait pas fait l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe ou s’il n’y avait eu aucune violation des droits ou obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations.

Les États membres veillent à ce que l’indemnisation ou la réparation comprenne le recouvrement intégral des arriérés de salaire et des primes ou paiements en nature qui y sont liés, une indemnisation pour les opportunités manquées, le préjudice moral, tout préjudice causé par d’autres facteurs pertinents, dont peut notamment faire partie la discrimination intersectionnelle, ainsi que des intérêts de retard.

L’indemnisation ou la réparation n’est pas limitée par la fixation préalable d’un plafond.